L’intelligence artificielle (IA) est souvent perçue comme un moteur d’innovation et de compétitivité, et des centaines de milliards d’euros d’investissements ont été récemment annoncés en Europe ou aux États-Unis. Dans le contexte d’urgence climatique, de nombreuses voix affirment que l’IA pourrait optimiser de nombreux processus et contribuer à réduire l’impact environnemental de nos modes de vies. D’autres voix, au contraire, pointent du doigt les énormes impacts négatifs de l’IA. Alors que le numérique pesait déjà 1,8 % à 3,9 % des émissions mondiales en 2020, la construction massive de nouveaux datacenters pour l’IA est vue comme une source supplémentaire de destructions de l’environnement.

Alors, l’IA est-elle une alliée ou une menace pour l’environnement ?

La réponse n’est ni simple ni univoque : elle dépend fortement des usages que l’on en fait et des types d’IA concernés. Nous allons voir comment l’IA peut être un atout pour la transition écologique, mais aussi l’impact important de cette technologie, notamment en termes d’émissions de gaz à effets de serre ou de consommation d’eau, ressources minérales et énergie.

1. AI for Green : que peut l’IA pour l’environnement ?

1.1 – Deux types d’IA pour l’environnement

Les usages de l’intelligence artificielle en faveur de l’environnement peuvent être, de manière schématique, regroupés en deux grandes catégories. La première regroupe les applications de l’IA dédiées à l’optimisation des systèmes physiques : elles visent à réduire les gaspillages, améliorer l’efficacité énergétique, ou encore ajuster en temps réel la consommation de ressources. La seconde concerne les usages de l’IA pour la production ou le partage de connaissances, qu’il s’agisse de modéliser des phénomènes complexes comme le climat ou de rendre accessibles des informations scientifiques à un public plus large. Par exemple, des modèles d’IA sont utilisés pour affiner les simulations climatiques, pour générer des résumés qui facilitent la vulgarisation de contenus environnementaux, ou pour détecter automatiquement les destructions illégales de l’environnement.

Dans ce premier volet, nous nous concentrerons sur les applications d’optimisation. En effet, ce sont elles qui interagissent directement avec les infrastructures et les systèmes matériels, et qui peuvent donc avoir un impact mesurable et immédiat sur la consommation de ressources et les émissions de gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas pour autant que les usages de l’IA pour la production et le partage de connaissances soient secondaires : leurs impacts sur le débat public bien que difficile à quantifier — pourrait s’avérer tout aussi déterminant à long terme (une ressource parmi les nombreuses qui existent sur le sujet).

1.2 – IA pour l’optimisation

L’un des domaines emblématiques de la contribution des optimisations par IA est celui des datacenters. Par exemple, dans les datacenters de Google, l’IA permettrait d’après un article de publié en 2016 de moduler en temps réel les systèmes de refroidissement selon des dizaines de paramètres tels que la charge des serveurs ou la température extérieure. Ce système aurait permis une baisse globale d’environ 15 % de la consommation énergétique du datacenter. Ces ajustements fins, rendus possibles par l’analyse continue des données, permettent donc dans ce cas d’importantes économies de ressources.

Cet exemple illustre une tendance plus large : l’intelligence artificielle pourrait rendre plus efficients l’ensemble des processus de production. En optimisant l’usage des ressources, l’IA peut réduire certaines pertes qui existent aujourd’hui. Dans le domaine de la production d’énergie par exemple, l’Agence Internationale de l’Énergie (IAE) estime dans son rapport AI and Energy (2025) les effets de l’adoption de systèmes pilotés par IA. L’agence prévoit qu’une adoption généralisée de l’IA dans le secteur de l’électricité pourrait permettre jusqu’à 110 milliards USD d’économies annuelles en 2035. Ces économies viendraient notamment d’une meilleure gestion des centrales, de la maintenance prédictive et d’une intégration plus fluide des énergies renouvelables dans les réseaux. Ce même rapport estime que les industries légères telles que l’électronique ou la fabrication de machines pourraient réduire de 8 % leur consommation d’énergie à l’horizon 2035 grâce à l’optimisation des flux de production par l’IA.

1.3 – Un impact positif limité

Ces projections de l’IAE, institution de référence en matière de prospective énergétique, confirment que l’intelligence artificielle peut jouer un rôle notable dans l’amélioration de l’efficacité énergétique. De plus, l’IA peut permettre via des optimisations similaires de limiter d’autres impacts négatifs des activités humaines, comme la consommation d’eau ou le rejet de polluants dans l’environnement.

Cependant, ces chiffres montrent également que ces gains potentiels, bien qu’importants, restent trop marginaux. Ce 8 % d’énergie qui pourrait être économisé dans les industries légères est à remettre en perspective avec les changements radicaux nécessaire à la décarbonation de nos modes de vie. À titre d’exemple, la Stratégie nationale bas-carbone (2e version) de la France prévoit pour atteindre la neutralité carbone une diminution de 81 % des émissions de l’industrie entre 2015 et 2050. On comprend donc que l’IA déployée seule ne suffit pas, et qu’elle ne peut être envisagée que comme une partie de la solution. Les affirmations selon lesquelles l’IA pourraient résoudre le changement climatique, relayées par certaines grandes figures de la tech sont donc aujourd’hui infondées.

1.4 – L’importance des effets indirects

Nous avons évoqué les effets directs de l’IA qui pourraient être bénéfiques. Cependant, ceux-ci seront également accompagnés d’effets indirects qui pourraient être les plus déterminants. L’un des phénomènes les plus connus dans ce domaine est l’effet rebond, ou plus précisément, dans ses formes les plus sévères, ce que l’on appelle le paradoxe de Jevons.

Ce paradoxe a été formulé par l’économiste William Stanley Jevons. Il a observé que l’amélioration de l’efficacité de la machine à vapeur n’avais pas conduit à une baisse de la consommation de charbon comme on aurait pu l’espérer. Au contraire, cette amélioration technologique a rendu l’usage de la vapeur plus économique et donc plus attractif pour les industriels. Résultat : l’utilisation des machines à vapeur s’est généralisée, et la consommation totale de charbon a fortement augmenté. Ce paradoxe met en lumière un mécanisme fondamental de l’économie de l’énergie : l’efficacité accrue d’une technologie peut conduire à son expansion, annulant voire dépassant les économies attendues.

Ce raisonnement s’applique parfaitement aux gains d’efficacité permis par l’IA. Par exemple, si l’intelligence artificielle permet de réduire la consommation énergétique d’un processus industriel ou de transport, ils est plausible que cela réduise ses coûts d’exploitation, augmente sa rentabilité et donc incite à en intensifier l’usage ou à l’étendre à d’autres domaines. Ce phénomène constitue un contre-argument majeur face aux projections enthousiastes sur le potentiel écologique de l’IA. (article de référence sur le sujet).

Ainsi, si l’IA peut être un levier d’optimisation puissant, elle ne réduira pas mécaniquement notre empreinte écologique. Et avant même d’évoquer ses importants impacts négatifs, il est essentiel de l’IA n’est au mieux qu’un levier parmi d’autres pour atteindre un mode de vie durable.

2. Impact de l’IA : toutes les IA ne se valent pas

Avant de s’intéresser en détail aux impacts environnementaux de l’IA, il est essentiel de rappeler qu’il n’existe pas une seule IA, mais des formes très différentes d’intelligences artificielles, avec des implications environnementales variables. En particulier, il est important de distinguer le machine learning « classique » de l’IA générative.

Le machine learning (apprentissage machine en français) existe depuis les années 80 et s’est beaucoup développé. Il regroupe de nombreuses méthodes statistiques et informatiques (régression, arbres de décision, réseaux de neurones, etc.) qui permettent de détecter des motifs dans des données, faire des prédictions ou prendre des décisions automatisées à partir d’un apprentissage sur ces données. Ces modèles sont aujourd’hui omniprésents dans les services numériques : algorithmes de recommandation, moteurs de recherche, systèmes de détection de spam, ou encore outils d’optimisation industrielle. Leur efficacité repose souvent sur des volumes importants de données, mais leur architecture reste relativement sobre, et leurs coûts énergétiques — bien que réels — sont globalement maîtrisés, surtout une fois les modèles entraînés.

L’intelligence artificielle générative est une sous-catégorie de machine learning qui repose sur des réseaux de neurones particuliers capables de produire du contenu original : textes, images, sons, vidéos, ou même du code. Ces modèles ne se contentent plus de prédire ou classer à partir de données, mais génèrent de nouveaux contenus à partir d’un apprentissage sur des quantités massives de données. Le tournant a eu lieu dans les années 2017–2018 avec l’arrivée de modèles comme GPT ou BERT dans le monde académique. Cependant, c’est essentiellement à partir de 2022 que leur usage s’est démocratisé auprès du grand public avec des applications comme ChatGPT, DALL·E ou Midjourney.

Si l’IA générative s’est développée plus tardivement, c’est parce qu’elle nécessite des quantités de données et de calculs sans commune mesure avec les modèles classiques. Leur entraînement mobilise des supercalculateurs dédiés pendant des semaines, voire des mois, et leur utilisation à grande échelle génère aussi une consommation énergétique continue, notamment lorsqu’elles sont intégrées dans des interfaces grand public comme ChatGPT. Comme nous allons le voir, cette nouvelle famille d’IA est très gourmande en ressources, ce qui pose la question de sa compatibilité avec une approche responsable des solutions numériques.

3. L’impact de l’IA générative

3.1 – Écart entre IA générative et “traditionnelle”

Pour bien mesurer l’écart entre les différentes familles d’IA, il est instructif de comparer les ordres de grandeur énergétiques liés à leur entraînement. Prenons par exemple Dyno-v2, un modèle de vision par ordinateur non génératif publié par Meta en 2023. Les cartes graphiques utilisées pour entraîner ce modèle ont consommé environ 8,8 MWh (c’est-à-dire de quoi alimenter le foyer français moyen pendant environ deux ans).

La vision par ordinateur fait partie des tâches non génératives les plus gourmandes en données et en énergie. Pourtant, l’entraînement de Dyno-v2 a consommé 2000 fois moins d’énergie que celui d’un modèle de langage actuel. En effet, l’entraînement de LLaMA 3.1, un équivalent à GPT4 développé par Meta en 2024 a nécessité environ à 21 GWh pour alimenter les cartes graphiques* qui l’ont entraîné (environ ce que produit un réacteur nucléaire en une journée).

*seulement pour les cartes graphiques, il faudrait ajouter la consommation des autres équipements informatiques (processeur, carte mère, routeurs, stockage, …), la consommation du datacenter (refroidissement, éclairage, …), et prendre en compte l’énergie consommée lors de la fabrication de ces équipements.

3.2 – Impact carbon de ChatGPT

Cette explosion de la puissance de calcul requise par les modèles génératifs ne concerne pas uniquement leur phase d’entraînement. En réalité, l’usage de ces IA – l’inférence – peut, à terme, consommer autant, voire plus, que l’entraînement, surtout lorsqu’elles sont utilisées à très grande échelle. Par exemple, ChatGPT compte aujourd’hui plus de 400 millions d’utilisateurs hebdomadaires, générant des milliards d’interactions chaque mois. Chacune de ces requêtes mobilise plusieurs cartes graphiques dans un data center, parfois pendant plusieurs secondes.

Selon une estimation publiée par le collectif français Écologits, une simple génération d’email avec ChatGPT consommerait environ 14,9 Wh, soit près de 50 fois plus qu’une recherche Google, qui était estimée à 0,3 Wh en 2009. Même si ces chiffres ne sont que des estimations (en raison du manque de transparence des sociétés réalisant les inférences), l’ordre de grandeur reste parlant : un modèle génératif consomme vraisemblablement bien plus d’énergie qu’un moteur de recherche traditionnel.

3.3 – Autres impacts directs

Les impacts ne se limitent pas à l’électricité. L’inférence intensive d’IA génératives entraîne également une forte consommation d’eau, notamment pour le refroidissement des serveurs. Une étude a estimé qu’approximativement 500 mL d’eau sont évaporés toutes les 10 à 50 requêtes de taille moyenne effectuées sur GPT-3. Cette consommation, parfois dans des régions déjà touchées par le stress hydrique, représente un enjeu environnemental majeur à l’échelle locale.

Enfin, l’empreinte matérielle de ces technologies est considérable. La fabrication, le transport, la maintenance et la fin de vie des infrastructures nécessaires (serveurs, carte graphique, systèmes de stockage, réseaux…) génèrent des impacts importants. Malheureusement, l’ensemble des acteurs de l’IA maintiennent une très grande opacité sur leurs opérations et les constructeurs de hardware ne font pas exception. Ainsi, il n’existe que peu d’information sur l’impact du cycle de vie de cartes graphiques dédiées à l’IA. On peut utiliser les rapports RSE de grandes entreprises pour obtenir une première estimation. Meta et Google estiment par exemple que leurs datacenters émettent plus de CO2 en scope 3 (émissions indirectes) qu’en scope 2 (émissions liées à l’énergie). En d’autres termes, si on évalue le cycle de vie complet du matériel, l’énergie utilisée pour le faire fonctionner représente moins de 50 % du CO2 émis. On a vu précédemment que l’IA générative consomme justement énormément d’énergie, mais ce constat nous rappel que la consommation directe est la plus visible, mais pas forcément la plus importante. Il est donc essentiel de prendre en compte un spectre d’indicateur le plus large possible pour avoir une vision complète de l’empreinte environnementale de l’IA.

3.4 – Au-delà de l’eau et l’électricité

L’analyse du CO2 émis et de l’eau consommée est la plus simple à produire, mais elle devrait être complétée par la prise en compte de nombreux autres impacts : la pollution des sols et des nappes phréatiques, les atteintes à la biodiversité, les conflits d’usage, l’épuisement de ressources rares… Il n’existe pas de chiffres précis sur ces impacts, et la très grande opacité de l’ensemble des acteurs du secteur rend difficile la production de connaissance.

Plus largement, l’empreinte environnementale de l’IA générative n’est qu’une partie de son impact encore mal compris. Une réflexion sur les impacts sociaux de l’IA est hors du périmètre de cet article, mais nous soulignons qu**’il est indispensable de réfléchir IA en prenant en compte tous les types d’impact**. En effet, les approches qui se concentrent uniquement sur certaines parties du problème (uniquement le CO2, uniquement l’impact environnemental, etc) ont un risque. Elles peuvent aboutir à des solutions qui améliorent bien les indicateurs étudiés, mais en crée de nouveaux impacts négatifs dans les domaines qui n’ont pas été analysés. Par exemple, l’interdiction d’un service numérique pour des raisons environnemental ne peut peut pas se faire sans réflexion sur l’impact sociale et économique de ce service. Nous vous invitons donc à vous intéresser, nombreuses ressources existent sur les autres impacts de l’IA.

Concernant l’empreinte environnementale, on peut retenir le constat suivant : l’IA générative a plus d’impact que la plupart des autres services numériques en raison de son besoin accru en calculs qui entraînent des consommations importantes de matériel, d’énergie et de refroidissement.

3.5 – Une adoption qui explose

En dépit de ces multiples impacts, l’IA générative est en pleine croissance et de nombreux datacenters sont en constructions ou en projet. L’IAE prédit en avril 2025 que la consommation énergétique des datacenters à l’échelle mondiale pourrait doubler d’ici à 2030 par rapport à 2024 et tripler par rapport à 2020. Cette augmentation est principalement due à l’essor des serveurs accélérés, c’est-à-dire aux serveurs spécifiquement conçus pour l’IA générative. Alors que le numérique pèse aujourd’hui plusieurs pourcents de l’empreinte carbone mondiale, cette croissance importante et les impacts que nous avons mentionnés sont clairement en décalage avec les objectifs de préservation de l’environnement. Il devient donc urgent d’intégrer le coût réel de ces technologies dans les réflexions sur leur développement.

Source : IAE – Energy and AI (2025)

4. L’importance d’une réflexion incluant l’impact

Nous avons vu le potentiel de certaines IA “vertes”, ainsi que les conséquences environnementales l’adoption massive de l’IA (et en particulier générative). Alors finalement, pour ou contre l’IA ? La technologie va-t-elle sauver la planète ou sonner la fin des accords de Paris ? Plutôt que de trancher de manière binaire, il est essentiel d’adopter une perspective nuancée.

L’intelligence artificielle, sous toutes ses formes, est avant tout une technologie d’accélération. Elle permet d’automatiser des tâches, d’optimiser des processus, de générer des résultats à une vitesse et une échelle sans précédent. Cette capacité d’accélération, propre à l’ensemble des systèmes d’IA — qu’il s’agisse de machine learning classique ou de modèles génératifs — est au cœur de son potentiel de transformation environnementale… comme de ses risques.

Lorsqu’elle est appliquée à des objectifs clairs de sobriété (optimisation énergétique, réduction des déchets, meilleure allocation des ressources), l’IA — en particulier sous sa forme classique — peut constituer un allié technique précieux pour réduire l’impact environnemental des systèmes existants. On l’a vu, ces technologies peuvent être relativement sobres, et leur usage ciblé permet des gains significatifs dans les infrastructures industrielles et numériques.

Mais à l’inverse, lorsqu’elle est mobilisée pour accélérer sans discernement la production de contenus, d’interactions ou de services numériques, comme c’est souvent le cas avec l’IA générative, elle peut devenir un facteur d’intensification des pressions environnementales. L’automatisation de tâches autrefois manuelles ou limitées peut conduire à une croissance rapide des usages et donc à une augmentation proportionnelle des émissions, des consommations d’eau, et des besoins matériels.

Dans ce contexte, il ne s’agit pas de rejeter l’IA en bloc, mais bien de poser les bonnes questions :

  • Quel est le gain environnemental, économique ou social espéré lors de l’adoption d’une
    IA ? Ce gain est-il hypothétique ou a-t-il déjà été rigoureusement mis en évidence ?
  • Ce gain est-il suffisant pour justifier les impacts de son développement, son entraînement, son déploiement et son usage continu ? Bien que certains impacts ne soient pas encore bien compris ?
  • L’accélération induite par cette IA conduit-elle à une réduction nette des pressions environnementales, ou au contraire à leur diffusion accrue ?

Ces arbitrages exigent une approche rigoureuse, fondée sur la mesure, la traçabilité et la transparence des données environnementales. Il ne suffit plus aujourd’hui d’avancer des promesses d’optimisation : il faut les quantifier, les confronter aux coûts environnementaux réels, et les intégrer dans une stratégie globale de durabilité.

Auteur: Brice GAY,
Avec la collaboration de Laurin Boujon et Tristan Coignion
Et avec l’aide d’une IA générative (oui, on aime la transparence)

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L’intelligence artificielle (IA) est souvent perçue comme un moteur d’innovation et de compétitivité, et des centaines de milliards d’euros d’investissements ont été récemment annoncés en Europe ou aux États-Unis. Dans le contexte d’urgence climatique, de nombreuses voix affirment que l’IA pourrait optimiser de nombreux processus et contribuer à réduire l’impact environnemental de nos modes de vies. D’autres voix, au contraire, pointent du doigt les énormes impacts négatifs de l’IA. Alors que le numérique pesait déjà 1,8 % à 3,9 % des émissions mondiales en 2020, la construction massive de nouveaux datacenters pour l’IA est vue comme une source supplémentaire de destructions de l’environnement.

Alors, l’IA est-elle une alliée ou une menace pour l’environnement ?

La réponse n’est ni simple ni univoque : elle dépend fortement des usages que l’on en fait et des types d’IA concernés. Nous allons voir comment l’IA peut être un atout pour la transition écologique, mais aussi l’impact important de cette technologie, notamment en termes d’émissions de gaz à effets de serre ou de consommation d’eau, ressources minérales et énergie.

1. AI for Green : que peut l’IA pour l’environnement ?

1.1 – Deux types d’IA pour l’environnement

Les usages de l’intelligence artificielle en faveur de l’environnement peuvent être, de manière schématique, regroupés en deux grandes catégories. La première regroupe les applications de l’IA dédiées à l’optimisation des systèmes physiques : elles visent à réduire les gaspillages, améliorer l’efficacité énergétique, ou encore ajuster en temps réel la consommation de ressources. La seconde concerne les usages de l’IA pour la production ou le partage de connaissances, qu’il s’agisse de modéliser des phénomènes complexes comme le climat ou de rendre accessibles des informations scientifiques à un public plus large. Par exemple, des modèles d’IA sont utilisés pour affiner les simulations climatiques, pour générer des résumés qui facilitent la vulgarisation de contenus environnementaux, ou pour détecter automatiquement les destructions illégales de l’environnement.

Dans ce premier volet, nous nous concentrerons sur les applications d’optimisation. En effet, ce sont elles qui interagissent directement avec les infrastructures et les systèmes matériels, et qui peuvent donc avoir un impact mesurable et immédiat sur la consommation de ressources et les émissions de gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas pour autant que les usages de l’IA pour la production et le partage de connaissances soient secondaires : leurs impacts sur le débat public bien que difficile à quantifier — pourrait s’avérer tout aussi déterminant à long terme (une ressource parmi les nombreuses qui existent sur le sujet).

1.2 – IA pour l’optimisation

L’un des domaines emblématiques de la contribution des optimisations par IA est celui des datacenters. Par exemple, dans les datacenters de Google, l’IA permettrait d’après un article de publié en 2016 de moduler en temps réel les systèmes de refroidissement selon des dizaines de paramètres tels que la charge des serveurs ou la température extérieure. Ce système aurait permis une baisse globale d’environ 15 % de la consommation énergétique du datacenter. Ces ajustements fins, rendus possibles par l’analyse continue des données, permettent donc dans ce cas d’importantes économies de ressources.

Cet exemple illustre une tendance plus large : l’intelligence artificielle pourrait rendre plus efficients l’ensemble des processus de production. En optimisant l’usage des ressources, l’IA peut réduire certaines pertes qui existent aujourd’hui. Dans le domaine de la production d’énergie par exemple, l’Agence Internationale de l’Énergie (IAE) estime dans son rapport AI and Energy (2025) les effets de l’adoption de systèmes pilotés par IA. L’agence prévoit qu’une adoption généralisée de l’IA dans le secteur de l’électricité pourrait permettre jusqu’à 110 milliards USD d’économies annuelles en 2035. Ces économies viendraient notamment d’une meilleure gestion des centrales, de la maintenance prédictive et d’une intégration plus fluide des énergies renouvelables dans les réseaux. Ce même rapport estime que les industries légères telles que l’électronique ou la fabrication de machines pourraient réduire de 8 % leur consommation d’énergie à l’horizon 2035 grâce à l’optimisation des flux de production par l’IA.

1.3 – Un impact positif limité

Ces projections de l’IAE, institution de référence en matière de prospective énergétique, confirment que l’intelligence artificielle peut jouer un rôle notable dans l’amélioration de l’efficacité énergétique. De plus, l’IA peut permettre via des optimisations similaires de limiter d’autres impacts négatifs des activités humaines, comme la consommation d’eau ou le rejet de polluants dans l’environnement.

Cependant, ces chiffres montrent également que ces gains potentiels, bien qu’importants, restent trop marginaux. Ce 8 % d’énergie qui pourrait être économisé dans les industries légères est à remettre en perspective avec les changements radicaux nécessaire à la décarbonation de nos modes de vie. À titre d’exemple, la Stratégie nationale bas-carbone (2e version) de la France prévoit pour atteindre la neutralité carbone une diminution de 81 % des émissions de l’industrie entre 2015 et 2050. On comprend donc que l’IA déployée seule ne suffit pas, et qu’elle ne peut être envisagée que comme une partie de la solution. Les affirmations selon lesquelles l’IA pourraient résoudre le changement climatique, relayées par certaines grandes figures de la tech sont donc aujourd’hui infondées.

1.4 – L’importance des effets indirects

Nous avons évoqué les effets directs de l’IA qui pourraient être bénéfiques. Cependant, ceux-ci seront également accompagnés d’effets indirects qui pourraient être les plus déterminants. L’un des phénomènes les plus connus dans ce domaine est l’effet rebond, ou plus précisément, dans ses formes les plus sévères, ce que l’on appelle le paradoxe de Jevons.

Ce paradoxe a été formulé par l’économiste William Stanley Jevons. Il a observé que l’amélioration de l’efficacité de la machine à vapeur n’avais pas conduit à une baisse de la consommation de charbon comme on aurait pu l’espérer. Au contraire, cette amélioration technologique a rendu l’usage de la vapeur plus économique et donc plus attractif pour les industriels. Résultat : l’utilisation des machines à vapeur s’est généralisée, et la consommation totale de charbon a fortement augmenté. Ce paradoxe met en lumière un mécanisme fondamental de l’économie de l’énergie : l’efficacité accrue d’une technologie peut conduire à son expansion, annulant voire dépassant les économies attendues.

Ce raisonnement s’applique parfaitement aux gains d’efficacité permis par l’IA. Par exemple, si l’intelligence artificielle permet de réduire la consommation énergétique d’un processus industriel ou de transport, ils est plausible que cela réduise ses coûts d’exploitation, augmente sa rentabilité et donc incite à en intensifier l’usage ou à l’étendre à d’autres domaines. Ce phénomène constitue un contre-argument majeur face aux projections enthousiastes sur le potentiel écologique de l’IA. (article de référence sur le sujet).

Ainsi, si l’IA peut être un levier d’optimisation puissant, elle ne réduira pas mécaniquement notre empreinte écologique. Et avant même d’évoquer ses importants impacts négatifs, il est essentiel de l’IA n’est au mieux qu’un levier parmi d’autres pour atteindre un mode de vie durable.

2. Impact de l’IA : toutes les IA ne se valent pas

Avant de s’intéresser en détail aux impacts environnementaux de l’IA, il est essentiel de rappeler qu’il n’existe pas une seule IA, mais des formes très différentes d’intelligences artificielles, avec des implications environnementales variables. En particulier, il est important de distinguer le machine learning « classique » de l’IA générative.

Le machine learning (apprentissage machine en français) existe depuis les années 80 et s’est beaucoup développé. Il regroupe de nombreuses méthodes statistiques et informatiques (régression, arbres de décision, réseaux de neurones, etc.) qui permettent de détecter des motifs dans des données, faire des prédictions ou prendre des décisions automatisées à partir d’un apprentissage sur ces données. Ces modèles sont aujourd’hui omniprésents dans les services numériques : algorithmes de recommandation, moteurs de recherche, systèmes de détection de spam, ou encore outils d’optimisation industrielle. Leur efficacité repose souvent sur des volumes importants de données, mais leur architecture reste relativement sobre, et leurs coûts énergétiques — bien que réels — sont globalement maîtrisés, surtout une fois les modèles entraînés.

L’intelligence artificielle générative est une sous-catégorie de machine learning qui repose sur des réseaux de neurones particuliers capables de produire du contenu original : textes, images, sons, vidéos, ou même du code. Ces modèles ne se contentent plus de prédire ou classer à partir de données, mais génèrent de nouveaux contenus à partir d’un apprentissage sur des quantités massives de données. Le tournant a eu lieu dans les années 2017–2018 avec l’arrivée de modèles comme GPT ou BERT dans le monde académique. Cependant, c’est essentiellement à partir de 2022 que leur usage s’est démocratisé auprès du grand public avec des applications comme ChatGPT, DALL·E ou Midjourney.

Si l’IA générative s’est développée plus tardivement, c’est parce qu’elle nécessite des quantités de données et de calculs sans commune mesure avec les modèles classiques. Leur entraînement mobilise des supercalculateurs dédiés pendant des semaines, voire des mois, et leur utilisation à grande échelle génère aussi une consommation énergétique continue, notamment lorsqu’elles sont intégrées dans des interfaces grand public comme ChatGPT. Comme nous allons le voir, cette nouvelle famille d’IA est très gourmande en ressources, ce qui pose la question de sa compatibilité avec une approche responsable des solutions numériques.

3. L’impact de l’IA générative

3.1 – Écart entre IA générative et “traditionnelle”

Pour bien mesurer l’écart entre les différentes familles d’IA, il est instructif de comparer les ordres de grandeur énergétiques liés à leur entraînement. Prenons par exemple Dyno-v2, un modèle de vision par ordinateur non génératif publié par Meta en 2023. Les cartes graphiques utilisées pour entraîner ce modèle ont consommé environ 8,8 MWh (c’est-à-dire de quoi alimenter le foyer français moyen pendant environ deux ans).

La vision par ordinateur fait partie des tâches non génératives les plus gourmandes en données et en énergie. Pourtant, l’entraînement de Dyno-v2 a consommé 2000 fois moins d’énergie que celui d’un modèle de langage actuel. En effet, l’entraînement de LLaMA 3.1, un équivalent à GPT4 développé par Meta en 2024 a nécessité environ à 21 GWh pour alimenter les cartes graphiques* qui l’ont entraîné (environ ce que produit un réacteur nucléaire en une journée).

*seulement pour les cartes graphiques, il faudrait ajouter la consommation des autres équipements informatiques (processeur, carte mère, routeurs, stockage, …), la consommation du datacenter (refroidissement, éclairage, …), et prendre en compte l’énergie consommée lors de la fabrication de ces équipements.

3.2 – Impact carbon de ChatGPT

Cette explosion de la puissance de calcul requise par les modèles génératifs ne concerne pas uniquement leur phase d’entraînement. En réalité, l’usage de ces IA – l’inférence – peut, à terme, consommer autant, voire plus, que l’entraînement, surtout lorsqu’elles sont utilisées à très grande échelle. Par exemple, ChatGPT compte aujourd’hui plus de 400 millions d’utilisateurs hebdomadaires, générant des milliards d’interactions chaque mois. Chacune de ces requêtes mobilise plusieurs cartes graphiques dans un data center, parfois pendant plusieurs secondes.

Selon une estimation publiée par le collectif français Écologits, une simple génération d’email avec ChatGPT consommerait environ 14,9 Wh, soit près de 50 fois plus qu’une recherche Google, qui était estimée à 0,3 Wh en 2009. Même si ces chiffres ne sont que des estimations (en raison du manque de transparence des sociétés réalisant les inférences), l’ordre de grandeur reste parlant : un modèle génératif consomme vraisemblablement bien plus d’énergie qu’un moteur de recherche traditionnel.

3.3 – Autres impacts directs

Les impacts ne se limitent pas à l’électricité. L’inférence intensive d’IA génératives entraîne également une forte consommation d’eau, notamment pour le refroidissement des serveurs. Une étude a estimé qu’approximativement 500 mL d’eau sont évaporés toutes les 10 à 50 requêtes de taille moyenne effectuées sur GPT-3. Cette consommation, parfois dans des régions déjà touchées par le stress hydrique, représente un enjeu environnemental majeur à l’échelle locale.

Enfin, l’empreinte matérielle de ces technologies est considérable. La fabrication, le transport, la maintenance et la fin de vie des infrastructures nécessaires (serveurs, carte graphique, systèmes de stockage, réseaux…) génèrent des impacts importants. Malheureusement, l’ensemble des acteurs de l’IA maintiennent une très grande opacité sur leurs opérations et les constructeurs de hardware ne font pas exception. Ainsi, il n’existe que peu d’information sur l’impact du cycle de vie de cartes graphiques dédiées à l’IA. On peut utiliser les rapports RSE de grandes entreprises pour obtenir une première estimation. Meta et Google estiment par exemple que leurs datacenters émettent plus de CO2 en scope 3 (émissions indirectes) qu’en scope 2 (émissions liées à l’énergie). En d’autres termes, si on évalue le cycle de vie complet du matériel, l’énergie utilisée pour le faire fonctionner représente moins de 50 % du CO2 émis. On a vu précédemment que l’IA générative consomme justement énormément d’énergie, mais ce constat nous rappel que la consommation directe est la plus visible, mais pas forcément la plus importante. Il est donc essentiel de prendre en compte un spectre d’indicateur le plus large possible pour avoir une vision complète de l’empreinte environnementale de l’IA.

3.4 – Au-delà de l’eau et l’électricité

L’analyse du CO2 émis et de l’eau consommée est la plus simple à produire, mais elle devrait être complétée par la prise en compte de nombreux autres impacts : la pollution des sols et des nappes phréatiques, les atteintes à la biodiversité, les conflits d’usage, l’épuisement de ressources rares… Il n’existe pas de chiffres précis sur ces impacts, et la très grande opacité de l’ensemble des acteurs du secteur rend difficile la production de connaissance.

Plus largement, l’empreinte environnementale de l’IA générative n’est qu’une partie de son impact encore mal compris. Une réflexion sur les impacts sociaux de l’IA est hors du périmètre de cet article, mais nous soulignons qu**’il est indispensable de réfléchir IA en prenant en compte tous les types d’impact**. En effet, les approches qui se concentrent uniquement sur certaines parties du problème (uniquement le CO2, uniquement l’impact environnemental, etc) ont un risque. Elles peuvent aboutir à des solutions qui améliorent bien les indicateurs étudiés, mais en crée de nouveaux impacts négatifs dans les domaines qui n’ont pas été analysés. Par exemple, l’interdiction d’un service numérique pour des raisons environnemental ne peut peut pas se faire sans réflexion sur l’impact sociale et économique de ce service. Nous vous invitons donc à vous intéresser, nombreuses ressources existent sur les autres impacts de l’IA.

Concernant l’empreinte environnementale, on peut retenir le constat suivant : l’IA générative a plus d’impact que la plupart des autres services numériques en raison de son besoin accru en calculs qui entraînent des consommations importantes de matériel, d’énergie et de refroidissement.

3.5 – Une adoption qui explose

En dépit de ces multiples impacts, l’IA générative est en pleine croissance et de nombreux datacenters sont en constructions ou en projet. L’IAE prédit en avril 2025 que la consommation énergétique des datacenters à l’échelle mondiale pourrait doubler d’ici à 2030 par rapport à 2024 et tripler par rapport à 2020. Cette augmentation est principalement due à l’essor des serveurs accélérés, c’est-à-dire aux serveurs spécifiquement conçus pour l’IA générative. Alors que le numérique pèse aujourd’hui plusieurs pourcents de l’empreinte carbone mondiale, cette croissance importante et les impacts que nous avons mentionnés sont clairement en décalage avec les objectifs de préservation de l’environnement. Il devient donc urgent d’intégrer le coût réel de ces technologies dans les réflexions sur leur développement.

Source : IAE – Energy and AI (2025)

4. L’importance d’une réflexion incluant l’impact

Nous avons vu le potentiel de certaines IA “vertes”, ainsi que les conséquences environnementales l’adoption massive de l’IA (et en particulier générative). Alors finalement, pour ou contre l’IA ? La technologie va-t-elle sauver la planète ou sonner la fin des accords de Paris ? Plutôt que de trancher de manière binaire, il est essentiel d’adopter une perspective nuancée.

L’intelligence artificielle, sous toutes ses formes, est avant tout une technologie d’accélération. Elle permet d’automatiser des tâches, d’optimiser des processus, de générer des résultats à une vitesse et une échelle sans précédent. Cette capacité d’accélération, propre à l’ensemble des systèmes d’IA — qu’il s’agisse de machine learning classique ou de modèles génératifs — est au cœur de son potentiel de transformation environnementale… comme de ses risques.

Lorsqu’elle est appliquée à des objectifs clairs de sobriété (optimisation énergétique, réduction des déchets, meilleure allocation des ressources), l’IA — en particulier sous sa forme classique — peut constituer un allié technique précieux pour réduire l’impact environnemental des systèmes existants. On l’a vu, ces technologies peuvent être relativement sobres, et leur usage ciblé permet des gains significatifs dans les infrastructures industrielles et numériques.

Mais à l’inverse, lorsqu’elle est mobilisée pour accélérer sans discernement la production de contenus, d’interactions ou de services numériques, comme c’est souvent le cas avec l’IA générative, elle peut devenir un facteur d’intensification des pressions environnementales. L’automatisation de tâches autrefois manuelles ou limitées peut conduire à une croissance rapide des usages et donc à une augmentation proportionnelle des émissions, des consommations d’eau, et des besoins matériels.

Dans ce contexte, il ne s’agit pas de rejeter l’IA en bloc, mais bien de poser les bonnes questions :

  • Quel est le gain environnemental, économique ou social espéré lors de l’adoption d’une
    IA ? Ce gain est-il hypothétique ou a-t-il déjà été rigoureusement mis en évidence ?
  • Ce gain est-il suffisant pour justifier les impacts de son développement, son entraînement, son déploiement et son usage continu ? Bien que certains impacts ne soient pas encore bien compris ?
  • L’accélération induite par cette IA conduit-elle à une réduction nette des pressions environnementales, ou au contraire à leur diffusion accrue ?

Ces arbitrages exigent une approche rigoureuse, fondée sur la mesure, la traçabilité et la transparence des données environnementales. Il ne suffit plus aujourd’hui d’avancer des promesses d’optimisation : il faut les quantifier, les confronter aux coûts environnementaux réels, et les intégrer dans une stratégie globale de durabilité.

Auteur: Brice GAY,
Avec la collaboration de Laurin Boujon et Tristan Coignion
Et avec l’aide d’une IA générative (oui, on aime la transparence)

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